POURQUOI UNE STÈLE DANS LES BOIS ?

C'est par une fraîche matinée de novembre, au cours d'une partie de chasse à la bécasse, que le corps de Onions Clifford fut découvert par des chasseurs de Courlaoux. Roger Parnalland, Pierre Gaulliard et Robert Meunier arpentaient les bords du bois des Piochets en un lieu qu'on appelait à l'époque « Les Vieux Sapins », endroit très apprécié des bécasses qui abondaient à l'époque.

C'est Roger Parnalland qui, le premier, aperçut le panache blanc d'un parachute pendu dans les arbres. Il alerta aussitôt ses compagnons sans savoir vraiment de quoi il s'agissait. Nos trois compères, pas plus rassurés qu'il ne fallait, s'approchèrent. Ils avaient bien entendu dans la nuit un avion qui ronronnait anormalement et avait même largué des bombes dans la nature. Et durant cette période de troubles, la moindre chose anormale suscitait aussitôt l'inquiétude. C'est ainsi qu'ils découvrirent le corps sans vie de Onios Clifford, un Anglais de vingt ans.

Le malheureux était tombé sur des branches d'acacias. L'une d'elles, brisée net, s'était transformée en baïonnette et lui avait transpercé le corps en s'enfilant sous sa ceinture. Roger Parnalland interrompit sa partie de chasse, sauta sur son vélo et s'en alla informer la mairie de sa macabre découverte.

Il est probable que Onios Clifford fut l'un des premiers à sauter puisque l'avion est allé s'écraser le long de la queue de l'étang Villeron, après la gare de Savigny-en-Revermont. Une grosse bombe était tombée sur Courlaoux, au lieu-dit « en Roussot ». Le trou est encore visible.

Le corps de l'aviateur fut enterré dans le cimetière de Courlaoux en attendant d'être rapatrié en Angleterre après la guerre. C'est Charles Buguet, garde privé de forêt, qui s'occupa de la collecte qui permit de faire ériger une stèle à la mémoire de ce héros, à l'endroit précis où le corps avait été trouvé. A l'époque, tout le monde était persuadé que l'infortuné soldat était un de nos frères canadiens venu, comme beaucoup d'entre eux, pour nous libérer.

D'après le récit du sergent Harry Mossley, venu en pèlerinage sur les lieux du drame en 1983, voici ce qui s'est réellement passé. C'était au retour d'un raid de la Royal Air Force, dirigé par une centaine d'avions, au-dessus de Cologne et de Berlin, le 8 novembre 1941. Les conditions atmosphériques n'étaient pas bonnes. Aussi, une simple erreur de navigation entraîna le « Wellington », à bord duquel Harry Mossley était mitrailleur, au-dessus de la plaine bressane. Vers les trois heures du matin, les six membres de l'équipage durent se rendre à l'évidence : le manque d'essence les contraignait à sauter en parachute afin d'échapper à une mort certaine. Après avoir délesté le reste des bombes et lancé des fusées éclairantes pour s'assurer qu'il n'y avait pas d'habitation en dessous, Onios Clifford fut l'un des premiers à se lancer. Certains atterrirent à Courlaoux, d'autres à Savigny. L'appareil s'écrasa au hameau de Villeron entre la gare et la queue de l'étang. Harry, alors âgé de vingt et un ans, célibataire et sergent dans l'armée britannique, ne parlait pas un mot de français.

Ayant repris ses esprits après être tombé sur un arbre, il se dirigea vers le café de Savigny, tenu par M. Deliance. Peu de temps après, les gendarmes de Beaurepaire, alertés, l'emmenèrent avec son camarade pilote à Louhans. Ils séjournèrent quelque temps au musée. Ce sont les filles de M. Petit, alors propriétaire du « Cheval Rouge », qui leur apportaient à manger. Les « chocs » traînèrent de camp en camp, de prison en prison, pour être enfin enfermés en Allemagne jusqu'à la fin de la guerre.

De retour en Angleterre en 1945, Harry Mossley se maria, eut deux enfants et vécut la vie paisible d'un professeur à Bolton. Pourtant, depuis longtemps, il avait l'idée de retrouver le théatre de cette aventure. Profitant de sa retraite, il fit le voyage sur les lieux et grâce à l'aide de quelques anciens résistants bressans, il put retrouver les visages de ceux qui le croisèrent, effarés, le 9 novembre 1941. Visiblement très ému par cet extraordinaire retour en arrière, il demanda à se recueillir sur la stèle de son camarade Onions Clifford et s'est soudain souvenu, avec une mine grave, que de cette nuit du 8 novembre 1941, aujourd'hui de son camarade, il ne restait plus qu'une pierre perdue au fond d'un bois, avec gravée l'inscription suivante :

HOMMAGE  RECONNAISSANT
A  UN  FRÈRE  CANADIEN
TOMBÉ  GLORIEUSEMENT  ICI
LE  8  NOVEMBRE  1941
POUR  NOUS  RENDRE  LA  LIBERTÉ

PASSANT,   RECUEILLE-TOI   ET  SALUE

En 2005, Harry Mossley, alors âgé de 84 ans, revint à Courlaoux pour se recueillir à nouveau sur la stèle de son camarade. L'ayant rencontré, il me redit que tous avaient été fait prisonniers et emmenés en Allemagne, contrairement à ce qui avait pu être écrit par d'autres. « Cela n'a pas été un pic nic » a-t-il conclu.

André Gaulliard